
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai rien contre les SUV, dont les aspects pratiques sont incontestables. Mais je pense plutôt que la majorité de la clientèle les accroche car ils mettent l’esprit à l’aise tout en véhiculant une idée d’évasion. Ils sont à l’image de leur époque, tiraillés entre le désir de divertissement et… la peur ! Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Nous aimions les voitures criardes dans les années 50 et 60, car nous nous inspirions des États-Unis, nous aimions les coupés dans les années 70, les GTI dans la décennie suivante, puis les monospaces et enfin les SUV. Cela dit, du côté de tous ces types de voitures, certains esthètes ont préféré des breaks très particuliers, des breaks de chasse. Des voitures à la fois sportives et pratiques, élégantes et spacieuses, multifonctionnelles et exclusives. Idéal pour se démarquer, mais toujours avec classe !

Appelés “shooting brake” en anglais, les shooting brakes ont commencé à se développer dans les années 1950 outre-Manche, initialement destinés à une clientèle aisée. La première à être créée par un constructeur et non par un bricoleur de talent serait la P2 Safari d’Allard, une marque britannique de voitures de sport très performantes. Elle est apparue en 1951, elle a été produite jusqu’en 1954 à… 13 exemplaires. Malheureusement, ce n’était pas très réussi.
La catégorie des nouveau-nés reçoit un sérieux coup de pouce grâce à Chevrolet qui, en 1955, dévoile une version break deux portes plutôt chic de sa Bel-Air, la Nomad. Sa vocation est au divertissement sportif et non aux tâches ingrates, comme en témoignent sa décoration soignée, son moteur musclé et sa publicité montrant un passionné de golf mettant des clubs dans son coffre. Un peu plus de 20 000 unités seront produites d’ici 1957, ce qui n’incitera pas GM à poursuivre le concept.

Pendant ce temps, en Europe, on ignore encore les grandes séries pour tirer sur les wagons, qui restent ultra-exclusives. Aston Martin se rapproche de la catégorie avec sa DB2-4 de 1953, mais la lunette arrière ouvrante n’offre pas assez d’espace pour être vraiment pratique. Le carrossier Radford, en 1963, dévoile une version shooting brake de la mythique DB5, mais seulement 12 exemplaires sortent de ses ateliers. De manière décidée, la formule ne prend pas !

Sa démocratisation commencera avec Reliant en 1968 : dévoilant sa GTE Scimitar, relativement abordable et fabuleusement bien conçue par Ogle. Son 6 cylindres Ford l’amène à près de 200 km/h, ce qui ne gâche rien. Cette fois, plusieurs centaines d’unités seront vendues chaque année. La princesse Margaret va adorer !

Cela dit, la vulgarisation du break de chasse européen revient à Volvo, qui présente sa P1800 ES en 1971. Solide, bien motorisée avec son indestructible 2.0 l à injection de 125 cv, rapide et élégante, elle est très désirable ! 8 078 unités seront vendues d’ici 1973, notamment aux États-Unis, malgré une technologie généralement ancienne.

C’est plus que la très originale Lotus Elite de 1974, beaucoup plus sportive avec son 2.0 l double arbre à cames à 16 soupapes (160 ch) qui l’emmène à 200 km/h. Ses phares “pop-up” ajoutent à son caractère exotique, mais sa qualité insuffisante et son prix élevé joueront en sa défaveur.

Les années 70 sont définitivement celles des wagons de tir puisque Jensen présente en 1975 une variante GT de la Jensen-Healey qui se vend mal, notamment à cause de son moteur Lotus fragile (proche de celui de l’Elite). Malgré son concept, la Jensen GT n’aura pas plus de succès, puisque moins de 500 exemplaires seront produits.

Pourtant, cette année-là, c’est au tour de Lancia de présenter son break de chasse : le Beta HPE (High Performance Estate). Cette fois est la bonne. Produite par un constructeur de série, la HPE bénéficie d’une technologie de haut niveau (machines à double arbre, traction, liaisons au sol très soignées) et d’une ligne on ne peut plus charmante. Surtout, son coffre est très bien conçu : un vrai hayon (et non une simple vitre ouvrante), plafond bas, banquette rabattable, grande longueur de chargement. Pratique, performante et raffinée, la Beta HPE est commercialisée jusqu’en 1984, bénéficiant même en 1982 d’un compresseur Volumex qui fait passer la puissance de son 2.0 l à 135 ch. Plus de 70 000 unités seront produites. Seulement, après elle… rien d’autre ne sortira dans les années 70 !

Il faudra attendre 1985 pour qu’un autre grand généraliste présente un break de chasse qui, lui aussi, est particulièrement savoureux : Honda, avec l’Aerodeck Accord. La japonaise partage un magnifique train roulant à double fil de fer devant/derrière qui sera une école et un hayon qui intervient élégamment sur le toit pour augmenter l’accès au coffre. Malheureusement, elle manque d’envergure et souffre d’un plafond trop haut, si bien que la voiture ne trouve pas vraiment son public. Elle a pris sa retraite en 1989.

Que reste-t-il aux fans du genre ? La Volvo 480 ES, également lancée en 1985. Dotée d’une ligne ultramoderne et pourtant séduisante avec ses phares escamotables, elle reste néanmoins banale d’un point de vue technique, récupérant le 1,7 l inauguré par la Renault 11 et faisant bon usage d’un train arrière rigide. Pourtant, la Suédoise de fabrication néerlandaise se vendra à plus de 75 000 exemplaires d’ici 1995, non sans bénéficier d’un turbo. Malheureusement, Volvo ne le remplacera pas.

Pour s’offrir un break de chasse, tant qu’on est riche, on peut toujours faire transformer une Jaguar XJ-S d’occasion en Lynx, qui propose le sublime break de chasse Eventer, peut-être le plus beau jamais conçu !

Plus en tout cas que la séduisante mais lourde Aston Martin Virage Shooting Brake à feux arrière Renault 21 Nevada. Seuls six seront produits entre 1989 et 1995…

Prochain? De plus, ce sera un calme plat pour tirer les freins. La BMW Z3 Coupé ? Elle ne dispose que de deux places et se contente d’un coffre réduit. Cependant, on peut citer le Mini R56 Clubman de 2006, une sorte de version break du Mini Coach. Très design, il cache une porte latérale à ouverture antagoniste, côté droit. Petite voiture diablement intéressante pour les esthètes !

Le dernier à présenter un wagon de tir sera Ferrari en 2011 avec sa très originale FF à quatre roues motrices. Plus étrange que vraiment élégante, elle offre une combinaison très savoureuse de prestige, de performances exceptionnelles (elle dispose d’un fabuleux V12 de 660 ch) et de praticité. Elle sera remplacée en 2016 par la GTC4 Lusso, qui est une évolution.

Cela a juste cédé à deviner quoi? Un SUV, le Purosangue, est certainement magnifiquement conçu. Et toujours équipé d’une ambiance V12 incroyable ! Mais pour ceux qui veulent un vrai shooting break, il ne reste plus rien, même si Mercedes appelle Shooting Brake son break CLA. Mais avec ses cinq portes, elle ne correspond pas exactement au genre…