
FIGAROVOX/TRIBUNE – La récurrence et l’ampleur des crises pandémique, géopolitique, énergétique et climatique suggèrent que nous entrons dans un nouveau cycle économique, analyse Olivier Garnier, directeur général de la statistique, des études et des affaires internationales à la Banque de France.
Olivier Garnier est directeur général de la statistique, des études et des affaires internationales à la Banque de France.
L’inflation dans la plupart des économies avancées est désormais à des niveaux très élevés, qui n’avaient pas été enregistrés depuis au moins le début des années 1980. Cette situation est d’abord et avant tout la conséquence de chocs séculaires : la pandémie puis l’invasion russe de l’Ukraine. Mais cela pourrait aussi conduire à une évolution vers un nouveau régime d’inflation, après ceux que nous avons connus par le passé.
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Du milieu des années 1980 jusqu’à la grande crise financière de 2008, le monde a connu un régime dit de « Grande Modération ». Les analystes l’attribuent généralement à une combinaison de “bonne politique” et de “chance”… ce qui n’était pas un hasard. Elle résulte en effet de changements géopolitiques et structurels favorables à une offre productive mondiale plus abondante et plus élastique, jouant ainsi un fort rôle d’amortisseur en cas de chocs. Ainsi, la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin ont marqué le début d’une période non seulement de grande stabilité géopolitique mais aussi d’une forte accélération de la mondialisation. Ce n’est pas un hasard si la croyance en la « fin du cycle économique » a alors coïncidé avec la renaissance du concept de « fin de l’histoire ». Avec les progrès des technologies de l’information, les chaînes d’approvisionnement mondiales et la gestion de la production “juste à temps” se sont développées, limitant le rôle des variations de stocks dans les fluctuations économiques. Et avec l’intégration dans le commerce international de la Chine, de l’Inde et de l’ancien bloc de l’Est, la main-d’œuvre mondiale, notamment dans les activités manufacturières, a doublé. En outre, l’évolution du cadre de politique macroéconomique a également contribué à réduire la volatilité de l’activité et des prix. En termes de politique monétaire, l’indépendance et le ciblage de l’inflation (généralement autour de 2 %) sont devenus la nouvelle norme. Les politiques budgétaires, en revanche, étaient davantage façonnées par des règles, même si elles étaient imparfaitement respectées.
Outre la récurrence et l’ampleur des chocs pandémiques, géopolitiques et énergétiques, les conditions structurelles favorables à l’approvisionnement depuis plus de trente ans sont en train de s’inverser.
Olivier Garnier
La crise financière de 2008 et la crise de la dette dans la zone euro de 2010-2012 n’ont pas constitué une réelle rupture avec la “Grande Modération”. Ils sont plutôt interprétés comme une conséquence du « paradoxe de la tranquillité » : avant 2007, la croyance excessive dans les vertus autostabilisatrices du système et dans la disparition du risque conduisait à un excès de dérégulation financière et de levier d’endettement.
La décennie de « faible inflation » des années 2010 (c’est-à-dire constamment inférieure à 2 %) s’est également poursuivie. Au niveau mondial, les facteurs favorables du côté de l’offre n’ont pas beaucoup changé. Après les crises financières, les évolutions sont plutôt venues du côté de la demande, avec une amplification de l’abondance chronique de l’épargne par rapport à l’investissement, et une plus grande préférence pour la liquidité : d’où la difficulté croissante des politiques monétaires conventionnelles à combattre les pressions déflationnistes et à faire reculer l’inflation. vers la cible de 2 % alors que le taux d’intérêt d’équilibre se rapprochait de zéro, voire tombait en dessous.
La situation actuelle révèle clairement les premiers signes de rupture. Outre la récurrence et l’ampleur des chocs pandémiques, géopolitiques et énergétiques, les conditions structurelles favorables à l’approvisionnement depuis plus de trente ans sont en train de s’inverser, notamment une fragmentation des flux du commerce mondial en privilégiant la sécurité à l’efficacité. En outre, le changement climatique provoque des chocs économiques de plus en plus fréquents et dommageables. Et les politiques en faveur de la transition énergétique auront probablement des effets négatifs dans un premier temps sur l’offre, surtout si elles sont faites tardivement et de manière désordonnée. Enfin, à long terme, la démographie peut aussi conduire à une rareté des ressources en main-d’œuvre. Il reste une inconnue qui peut jouer un rôle positif : l’impact, encore attendu – mais jusqu’ici vain – de la digitalisation sur la productivité. Du côté de la demande, la rupture est moins nette, ce qui réduit le risque d’un régime d’inflation tiré par la demande. L’excès d’épargne mondiale continuera d’être encouragé par les déséquilibres financiers accumulés – internes et internationaux – ainsi que par des comportements de précaution face à une volatilité accrue. Le changement peut cependant provenir d’investissements pour lutter contre le changement climatique.
Après la Grande Modération, les banques centrales doivent se préparer à un régime d’inflation plus volatil.
Olivier Garnier
Un retour à un régime de stagflation comme celui des années 70 peut être évité à deux conditions : d’une part, des politiques gouvernementales favorisant le développement de l’offre, en réussissant les transitions numérique et écologique ; d’autre part, des politiques monétaires plus indépendantes que jamais pour lutter contre le risque de persistance d’une inflation trop élevée.
Va-t-on donc vers un nouveau régime d’inflation ? Les divisions mondiales actuelles ou futures aux niveaux géopolitique, climatique, énergétique et même démographique conduisent à des changements de régime. Mais cette dernière dépendra beaucoup des politiques économiques suivies. Après la Grande Modération, les banques centrales doivent se préparer à un régime d’inflation plus volatil. Mais cela ne signifie nullement que les politiques monétaires ne pourront pas maintenir l’inflation autour de leur cible d’inflation de 2% à moyen terme. Confrontés à des forces plus divergentes, ils disposent désormais d’une palette d’instruments beaucoup plus large.