
« Il y a deux avenirs, écrit en 1929 John D. Bernal, l’avenir du désir et l’avenir de la réalité, et la pensée humaine n’a jamais appris à les séparer. » Par souci de certitude, il est parfois suggéré de donner à cette « fin future » le nom de futur ; une façon de donner à ce qui nous arrive une qualité négative, incontrôlable, irréversible. L’avenir pourrait alors retenir la part de volonté, la part de désir qui donne à nos actions les signes de notre libre arbitre, de notre pensée, bref de nos désirs.
Aujourd’hui, ayant surmonté ou cru avoir surmonté les moyens nécessaires à la réalisation de nos désirs, les moyens fournis par la science et la technologie, nous sommes forcés de réaliser que le destin semble avoir repris son pouvoir. Par conséquent, ce changement climatique mondial dont nous nous inquiétons était à juste titre inutile ; si ses principales causes sont bien les actions, le travail acharné, l’enthousiasme, l’imagination, le choix et le fait des gens, on se demande tout de même si on ne donne pas les rênes au destin en combattant les événements, des forces qui nous dépassent.
Abandonner
En examinant tous les liens que nos connaissances peuvent rassembler sur notre planète, ses ressources, son atmosphère, ses environnements, nous nous prolongeons sur la chronologie avec des idées et parfois le fait que nous ne pouvons plus changer les pièces ou les processus. Nous craignons que l’avenir, que nous osons encore appeler le nôtre, soit déjà écrit sans que nous ayons désormais la moindre, la moindre chance d’en façonner le cours.
Mais nous sommes humains. Nous refusons d’abandonner trop vite, laissant le soin à ceux dont l’avenir nous paraît aveugle comme insensé. On se demande comment on peut arrêter cette course qui mène au désastre ou, à tout le moins, comment on peut la ralentir, comment on peut la détourner. Nous rejetons la mort des prédictions, la vision de l’absence ; nous voulons juste rester. Nous osons même garder notre passé glorieux : nous avons évité de parler de développement mais nous soutenons toujours le développement… ça continue. Si l’avenir semble possible, quelle place tient-il pour notre désir ? Faut-il encore un solide ?
Un exemple local
Prenons un exemple local. Depuis le milieu du siècle dernier, le lieu représente une forme de vision de l’avenir. Jusque-là, les hommes cherchaient à révéler leur destin dans le mouvement des astres ; désormais, il envoie ses projets interplanétaires, ses astronautes, enregistrer son histoire dans les étoiles. Les promesses des scientifiques du XVIIe siècle, celles des ingénieurs du début du XXe siècle invitaient les Terriens à rêver sérieusement au ciel ; ils leur ont promis la Lune comme promis aux croyants. Et le ciel a été vaincu, et la Lune est arrivée.
Pourtant, 50 ans après la réalisation de ce rêve, la fin semble prendre le dessus et l’avenir s’éloigne de nous. Alors que, dans les années 1960, l’arrivée de Mars et l’établissement de colonies dans l’espace étaient annoncés dans les 20 ou 30 prochaines années, ces annonces prophétiques n’ont pas été faites dans les délais annoncés et n’ont toujours pas été faites. Comme si les terres des Anciens, cette terre si belle et si éloignée des humains pour les atteindre, étaient revenues, avaient repris le dessus…
Rêver de grands navires
Dès lors, et nous sommes aujourd’hui spectateurs et peut-être acteurs, le débat entre ceux qui continuent à vouloir explorer l’espace, à préparer la première mission humaine sur Mars, à rêver de grands instruments capables de sortir du soleil, et ceux qui sont concernés à gérer l’espace de manière durable et à commencer à utiliser davantage les ressources spatiales accessibles, et enfin ceux qui rejettent ces projets où la fierté des gens semble répondre aux grands problèmes posés par une telle perspective et où le plus grand défi est relevé. La Terre et la Terre semblent avoir été ignorées.
Mais peut-on vraiment oublier le paradis ? Oubliant que, depuis des millénaires et peut-être depuis l’émergence de notre espèce sur Terre, l’espace du ciel a utilisé la jouissance de l’un sur toute notre vie, corps et cœur, âme et esprit. Les navigateurs n’étaient pas les seuls, jusqu’à très récemment, à tracer leur chemin « vers les étoiles » ; elle appartient à tous les peuples qui ont cherché dans la contemplation du ciel les repères de leur odyssée.
attirance et peur
J’ai parlé délibérément de plaisir, parce que l’attrait du ciel, le désir insatiable du ciel, est toujours lié à la peur, voire à la peur. Ciel d’hier, le paysage d’aujourd’hui reste une rude région à découvrir. Le désir de l’endroit où la chose est recherchée : il capte les qualités de la personne… sans pour autant chasser les solutions les plus égoïstes, marchandes. Le site n’a aucune information ou forme ou forme qui nous appartient; mais il nous invite, nous oblige à sortir de notre “zone de confort”. L’espace ne peut donc pas servir, sinon de modèle, du moins d’espace comparable à notre odyssée humaine et, de plus en plus temporairement, au monde ?
Parce qu’il en est de même pour nos affaires mondaines. En fait, quelle est l’utilité permanente si le désir est supprimé ou interdit ? L’invitation de Voltaire à planter notre jardin n’a pas perdu sa fonction ; elle ne parle plus à un philosophe fatigué de marcher dans le monde et de voir le genre humain, elle nous concerne tous. Et ce jardin n’est pas le seul au milieu duquel nous vivons et dont nous devons prendre soin pendant longtemps ; c’est le passé de notre culture, de notre culte, de notre caractère.
John Bernal avait raison : nous ne pouvons pas, nous ne devons pas diviser tout ce que l’avenir nous réserve.