quatre écrivains face aux clichés littéraires

Se débattre avec de fausses formules ou des développements attendus est la fortune des aspirants littéraires. A l’occasion de la parution du délicieux “Dictionnaire des Clichés Littéraires”, quatre romanciers racontent leur combat contre ces phénomènes communs.

La littérature a toujours été encombrée de clichés. Phrases toutes faites, écriture en tic, saleté… Hervé Laroche suit cette déformation créatrice depuis deux décennies. En tant que bibliophile, il vient de publier sa version augmentée Dictionnaire des clichés littéraires (éd. Arléa, 288 p., 10 €), initialement publié en 2003. Le thème a inspiré Gregory Le Floch pour créer une image : “Les clichés sont comme des gardiens, ils n’aiment pas voir des mots seuls. Écrire, c’est briser d’anciennes paires pour en créer de nouvelles.est en lice pour le prix Wepler 2020 Parcourez le monde et faites-en le tour (éd. Bourgois).

“Contrairement à l’artiste, l’écrivain exploite le matériau utilisé par des millions de personnes similaires. Écrire, c’est d’abord hériter d’une langue tombée en désuétude, et inventer son propre agencement de mots pour la faire revivre.pour sa part, mentionne François Begoteau, qui aura bientôt une vingtaine de romans, dont : Entre les murs (éd. Verticales, 2006) et La blessure, la vraie (2011). Anne Berest combat les clichés sans forcément les détester. Il explique cela en citant Hitchcock. “Mieux vaut commencer par un cliché que finir par”le cinéaste a dit un jour. “Cette phrase résume mon rapport à l’écriture”dit l’auteur Carte postale (éd. Grasset, 2021), qui commence toujours par un cliché, car il vient en premier. Il s’agit ensuite d’y donner suite, sans quoi l’écrivain est sujet à de douloureuses déceptions.

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Miguel Bonnefoy est encore fêté avec (au fer chaud). A l’âge où une personne est brisée par son premier amour, elle devient un grand épuisement littéraire. “J’ai écrit ma première histoire à l’âge de 16 ans dans un magazine étudiant. Je l’ai envoyé à un ancien que j’admirais et il m’a répondu : “C’est sympa, mais un peu cliché.” J’ai entendu ce mot pour la première fois. » Ne sachant s’il faut le prendre pour un compliment ou une insulte, il interroge son père. Pénalité sans appel : “C’était mon premier tour en tant qu’écrivain. Les premiers sont toujours les pires. » Vingt ans plus tard, il est toujours sous le choc. “Depuis ce temps, je n’ai eu de cesse de veiller à détruire les glissements sémantiques attendus, à faire sortir les proverbes. » l’auteur dePatrimoine (éd. Rivages, 2020) le confirme. avec lui nous ne trouverons jamais plus d’amour sans bornes ni de tension palpable.

La poétique du cliché

Mais il y a un stéréotype dont il ne doutait pas. Un lecteur observateur lui a récemment suggéré cela lors d’une réunion au sujet de son dernier bébé. L’inventeur (éd. Rivages). « Cette dame m’a fait remarquer que le mot silence n’arrêtait pas d’apparaître dans mes livres. » Bonnefoy entend désormais le faire taire. “La prochaine fois, je ferai Ctrl + F sur mon écriture.” » Dans la foulée, il nous avoue un fantasme. « Un genre me trotte dans la tête depuis des années : le roman préhistorique. Un texte où il n’y aura que des descriptions de cailloux, de pierres et de feu. Ce serait complètement fou. » Fou, vraiment. Et aussi un moyen de contourner ce qu’il redoute le plus : le dialogue. Cet exercice “plus dangereux” parce qu’elle expose à la terrible tentation de dire la vérité… “On peut très vite tomber dans le pétrin, comme dirait le caviste. “Je pars avec Pommerol.” »

Mais “parler prolo” ou s’exciter à propos du crépuscule n’est que le degré zéro du cliché. “Le cliché linguistique est presque une erreur de débutant, le vrai cliché littéraire est ailleurs”prévient Gregory Le Floch, qui publie son troisième roman en janvier. Gloria, Gloria ! (éd. Bourgois). Il ne supporte pas les clichés psychologiques. “Quand tu sais au bout de trois pages comment un tel va réagir au bout de trois cents”. Celles-ci “Chaînes de réaction automatiques qui gèlent les caractères” − s’enfuir après une explosion, le remercier lorsqu’il reçoit un cadeau… − donc il l’évite (comme la peste). Dans ses romans, ce professeur de français cherche à créer de nouveaux agencements émotionnels inspirés de ce passage de Lautremont : « Beau, comme une rencontre fortuite entre une machine à coudre et une table pliante parapluie. » Décodage. “J’essaie de créer de l’amour entre des choses qui ne correspondent pas à première vue. »

“Si je devais écrire une scène avec le meunier, je dirais volontiers qu’il passe sa journée à “regarder le grain”. cette métaphore fatiguée sera soudainement ravivée.” François Bégoteau

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Gregory Le Floch se bat aussi contre lui-même. Il sait que ses scènes sont à la mode “Passe systématiquement la mer, écumant”et tente d’apprivoiser le mode mineur car “Trop d’intensité engourdit le lecteur”. franco-vénézuélien et écrivant sur l’Amérique latine, de sucre noir (2017) à : PatrimoineMiguel Bonnefoy prend soin de ne pas s’enfermer dans un autre cliché, la veine surmenée du réalisme magique avec ses mornes climats tropicaux et ses carnavals. « Le cliché latino-américain crée un effet de luxe en multipliant les proches ; écrire en français me sauve. Avec le temps j’ai trop raccourci mes phrases et adopté une forme plus elliptique pour les éviter ; Je mélange l’exotisme latino-américain et la sobriété française. »

La lutte contre le cliché est âpre. Mais, comme dans les arts martiaux, leur force peut être mise à profit. On ne sait pas si Begodo pratique le judo, mais il adapte les principes aux mots. « J’aime transformer les métaphores. Par exemple, si j’écrivais une scène avec un meunier, je dirais volontiers qu’il passe sa journée « à regarder le grain » ; cette métaphore bien usée sera soudainement ravivée. » Anne Berest s’aventure même sur sa poétique “projet de réalité” Qu’est-ce qu’un cliché ? Il la restitue dans son sens photographique. “Les grands écrivains peuvent être caractérisés comme des créateurs de clichés. Quand on lit la page de Houellebecq ou de Modiano, on sait tout de suite que c’est d’eux. » Du coup, le cliché s’inverse et se transforme “La vision originelle aux antipodes de son sens premier”. Qu’est-ce qui redéfinit le fantasme de tout auteur ? « Tout écrivain rêve de créer un cliché. » Il semblait impossible de lui échapper.

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Lire:
r : Dictionnaire des clichés littéraires, Par Hervé Laroche, éd. Arléa, 288 pages, 10 euros

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