Un vote et une voix pour la Nature dans les conseils d’administration des entreprises

A travers le projet des associations Nos affaires à tous et Earth Law Center d’intégrer la voix de la Nature au sein des entreprises, Marine Yzquierdo encourage les entreprises à représenter la Nature au sein de leur conseil d’administration.

Votez et faites entendre la voix de la nature dans les conseils d'administration

Marine Yzquierdo
Avocat au Barreau de Paris, membre du conseil d’administration de l’association Notre Affaire à Tous

En septembre dernier au Royaume-Uni, Faith in Nature est devenue la première entreprise au monde à nommer la Nature à son conseil d’administration, afin de mieux représenter et respecter les droits de la Nature dans son fonctionnement de tous les jours. C’est cette même dynamique que nous souhaitons développer en France avec le projet pilote “Nature On The Board (NOTB)” porté par l’association Notre Affaire à Tous, qui œuvre pour la justice climatique et les droits des êtres vivants, et l’ONG américaine . Earth Law Center qui œuvre pour la reconnaissance des droits de la Nature dans le monde. Le modèle de gouvernance des entreprises, principaux acteurs de l’économie, doit se transformer pour intégrer le vivant dans les modèles économiques.

L’impact environnemental de notre système économique et la valeur attribuée à la Nature doivent donc être repensés au sein des entreprises. Selon le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) du 11 juillet 2022, des décisions basées sur un ensemble limité de valeurs marchandes de la nature alimentent la crise mondiale de la biodiversité. Notre approche actuelle des décisions économiques et politiques ne prend pas suffisamment en compte la diversité des valeurs de la Nature mais privilégie sa valeur instrumentale selon la loi du marché.

Les entreprises sont des acteurs clés de l’économie et, toujours selon l’IPBES, la croissance économique est l’un des principaux facteurs de destruction de la vie. Plus d’un million d’espèces de plantes et d’animaux sont aujourd’hui menacées d’extinction. L’exploitation excessive des ressources naturelles appelle donc un changement de paradigme. C’est pourquoi l’intégration de la voix de la Nature au sein des conseils d’administration des entreprises constitue une étape importante afin de trouver un équilibre afin que les différents intérêts et valeurs de la Nature, y compris sa valeur intrinsèque, soient mieux pris en compte. dans le processus de prise de décision.

Ce projet prolonge la responsabilité sociale des entreprises (RSE), déjà renforcée par la loi relative au Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Patt), du 22 mai 2019. Cette loi a modifié l’article 1833 du code civil, qui précise que ” L’entreprise est gérée dans son intérêt social, en tenant compte des enjeux sociaux et environnemental de son activité. L’objet de la société ne se limite donc plus aux intérêts communs des associés, il s’étend aux intérêts sociaux et environnementaux. Les externalités négatives sont intégrées à l’entreprise, qui doit adapter son mode de production, et donc de création de richesse, à des impératifs de bien-être collectif comme l’environnement.

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Donner un vote et une voix à la Nature dans les entreprises nous permet d’aller plus loin en lui faisant participer aux décisions liées à la stratégie de l’entreprise. Une idée qui a déjà fait son chemin sous d’autres formes. Dans un rapport de 2020, la Fabrique écologique proposait de mettre en place un représentant de la Nature et des générations futures extérieur à l’entreprise et intégré dans chaque conseil de gouvernance. D’autres initiatives proposent de former les managers aux problématiques environnementales. Earth on Board, par exemple, propose une transformation écologique des grandes entreprises en mettant en place des actions de sensibilisation et de formation dispensées aux administrateurs “conscients” qui souhaitent être mieux outillés pour agir au sein de leurs conseils, à l’heure de la faiblesse de la culture RSE. dans la formation des chefs d’entreprise, elle est souvent indiquée. Le projet pilote porté par Notre Affaire à Tous et le Earth Law Center nous invite à aller plus loin en intégrant la Nature au sein du conseil d’administration, en tant qu’acteur décisionnel et non plus simplement en tant qu’objet de considération. De ce fait, ce projet s’inscrit dans un objectif plus global de développer une vision écocentrée autour du monde en reconnaissant les droits de la Nature.

Les modalités de mise en œuvre de ce projet pilote dépendent en pratique du type de société, notamment la société anonyme (SA) ou la société par actions simplifiée (SAS), qui sont les seules à conseil d’administration. Dans le cas des SAS, le conseil d’administration n’est pas obligatoire et il convient alors de se référer aux statuts pour connaître les options possibles : création d’un conseil d’administration ou d’un comité de surveillance pour valider les décisions importantes, dans lesquelles Natura peut être nommé, voire la nomination d’un directeur général adjoint pour représenter Natura. Se pose alors la question de la qualité de la personne ou de l’entité qui a vocation à porter la voix de la Nature. Qui sera légitime pour l’intégrer ? Il conviendra au moins que cette personne (ou plusieurs personnes formant une même entité) est compétente en matière d’environnement afin de diffuser ses connaissances aux autres membres du Conseil d’administration. Cette personne pourra faire appel à d’autres experts externes selon les sujets sur lesquels elle doit se prononcer pour l’aider à prendre ses décisions. Il faudra alors procéder aux modifications des statuts de l’association afin d’inclure le nouveau rôle de Nature et que ces changements soient reflétés dans les autres documents sociaux tels que le code de déontologie et le pacte d’actionnaires, le cas échéant.

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Dans le cas de l’entreprise Faith in Nature, partant du principe que « la nature est le patron », les statuts ont été modifiés pour préciser qu’en plus de favoriser le succès de l’entreprise, l’entreprise fera de son mieux pour « avoir un impact positif sur la nature dans son ensemble ” et ” minimiser la perspective de tout impact négatif de ses activités commerciales sur la nature “. La composition du conseil a également été modifiée dans les statuts pour inclure, parfois, selon les sujets évoqués, au moins un gardien qui représente la Nature, et à cet égard les définitions de “nature” et “gardien de la nature”. , par l’adoption d’une résolution ordinaire, Nature a été nommé au Conseil d’administration en tant qu’administrateur non exécutif, représenté par des “mandataires” humains (représentants) de l’association Lawyers for Nature en partenariat avec Earth Law Center Lawyers for Nature, dont le siège est en Angleterre, a ensuite été déclaré et ajouté comme directeur de Faith in Nature à la Maison des Entreprises (équivalent du Registre du Commerce et des Sociétés). Ce mandat est valable pour trois mois et sera renouvelé par périodes de trois mois, jusqu’à ce que Faith In Nature invite une autre entité à succéder à Lawyers for Nature and Earth Law Center.

Ces évolutions statutaires et extra-statutaires sont importantes pour garantir un changement structurel qui ne peut se faire sans une réelle transformation de la gouvernance. Cependant, il faut veiller à éviter l’inconvénient de écoblanchiment, a même donné portée-lavage qui consiste à montrer une “raison d’être”, une “mission” ou un engagement social et environnemental sans que cela soit sincère, efficace et transparent. Or, selon un rapport d’évaluation de la loi Pacte présenté au Gouvernement en 2021, « l’objet est impératif et sa violation peut engager la responsabilité civile de la société ou des administrateurs ou leur révocation. Le risque juridique lié à la raison d’être en fait un mécanisme contraignant et opposable et lui confère donc une réelle crédibilité. “.

Tous ces termes doivent bien sûr être affinés dans le temps avec les entreprises et les experts en droit de l’environnement et des sociétés qui accompagneront le projet. C’est aussi pour cela qu’on parle de “projet pilote”, car il n’y a pas de solution clé en main qu’ils proposent aux entreprises, tout sera adapté selon l’entreprise concernée.

En fin de compte, un tel projet permettra d’atteindre un équilibre entre les intérêts économiques et les intérêts de la Nature. Il s’agit aussi de considérer les frontières planétaires afin d’apprécier globalement les impacts cumulés de l’activité d’une entreprise sur chacune de ces dix frontières planétaires, en écho au rapport Meadows qui nous alertait depuis 1972 sur les risques d’une croissance économique à l’infini. dans un monde aux ressources limitées. Il en va de même pour la théorie du beignet, qui vise à “changer le logiciel” en diffusant une nouvelle pensée économique avec une limite environnementale caractérisée par ces frontières planétaires. A plus long terme, on peut imaginer intégrer la représentation de la Nature aux autres critères pour obtenir un label RSE tel que le label B Corp. Nous voyons dans ce projet pilote une matrice de transformation de l’entreprise, voire un moyen pour permettre le passage de l’Anthropocène au Symbiocène, comme le défendait Glenn Albrechtqui appelle de nouvelles formes de gouvernance.

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Une telle transformation des entreprises leur permettra également de devenir plus attractives sur le marché. En effet, de plus en plus de jeunes diplômés ne souhaitent plus mettre leurs compétences au service d’entreprises qui n’intègrent pas les enjeux écologiques : création du collectif Pour un éveil écologique (qui regroupe aujourd’hui plus de 30 000 étudiants), appel à bifurquer les étudiants en AgroParisTech, asseyez-vous dedans organisée par les étudiants d’HEC devant le stand TotalEnergies, … La pression sur les entreprises s’intensifie et les affaires comme d’habitude ça ne peut plus durer. Les entreprises doivent travailler structurellement pour attirer les jeunes architectes du monde de demain, qui ne pourra se construire sans une meilleure prise en compte de la Nature dans la stratégie d’entreprise.

Reste à savoir quelles entreprises oseront suivre l’exemple de Faith in Nature et rejoindre ce projet pilote en France. Bien que toutes les entreprises ne soient pas prêtes à effectuer cette transition, nous savons que certaines sont déjà sur cette voie. Le tissu entrepreneurial regorge de solutions et d’innovations. Les entreprises, par leur modèle économique et leurs activités, sont une des causes de l’effondrement de la biodiversité, mais elles en sont aussi la solution.




Article publié le 30 décembre 2022

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